Un duel Franco-Suisse dans le bateau à hydrogène ?

Jusqu’à présent, on ne parlait en France que d’un seul projet de bateau à hydrogène, Energy Observer. Mais il y a pourtant deux navires à utiliser cette forme d’énergie et qui seront dévoilés tous les deux en Bretagne, l’un étant Français et l’autre Suisse. Il s’agit pour ce dernier de l’ancien catamaran PlanetSolar, repris par la Fondation Race For Water pour une nouvelle odyssée sur le thème de la pollution en mer. Tout comme Energy Observer, Il va utiliser lui aussi des panneaux solaires, des batteries, un kite pour la traction et une pile à combustible pour stocker l’énergie à bord en lien avec un système d’électrolyse.

Une présentation dans la même semaine
A partir du 8 avril, les deux bateaux seront visibles en même temps. Energy Observer sera dévoilé à Saint-Malo, sur l’Esplanade Vincent, où il sera exposé jusqu’au 14 avril, date de sa mise à l’eau. L’événement se déroulera en présence des deux parrains, Nicolas Hulot et Florence Lambert (CEA). Pour sa part, Race for Water sera présent à Lorient dans le cadre d’un festival de plaisance (Lorient Nautic). Etant à l’eau dès le 7, le catamaran Suisse partira le 9 pour un tour du monde.

Des agendas assez proches
En dehors de la date de la présentation, il se trouve que les agendas sont assez similaires aussi pour faire le tour du monde. Energy Observer a prévu une campagne sur 6 ans, avec 50 pays et 101 escales entre la fin 2017 et 2022. Un tour de France aura lieu au préalable. L’objectif est de présenter les énergies renouvelables et de produire également des documentaires, tournés par le réalisateur Jérôme Delafosse qui fera partie de l’aventure. Pour sa part, Race for Water conduit une odyssée sur 5 ans, jusqu’en 2021. La première expédition de la fondation Suisse était destinée à attirer l’attention sur la pollution par des plastiques en mer. La seconde va permettre de présenter à terre une solution pour recycler ces déchets plastiques en hydrogène et en méthane, grâce à un procédé de gazéification mis au point par la société française Etia. Le bateau de Race for Water jouera aussi le rôle de plateforme scientifique pour analyser de façon plus poussée la pollution en mer.

Le choix similaire d’une chaîne de production utilisant l’hydrogène
Quand on regarde les solutions retenues pour propulser le bateau, on note beaucoup de similitudes entre Energy Observer et Race for Water. « Le choix de l’hydrogène a été assez naturel, en complément d’un bateau solaire, avance Franklin Servan-Schreiber, Directeur de la Communication de la fondation. Quoi de plus naturel pour une fondation qui se préoccupe des océans que de naviguer avec un bateau à énergie propre ». L’équipe d’Energy Observer revendique néanmoins son antériorité, en précisant qu’elle travaille sur le projet depuis 4 ans (voici d’ailleurs une plaquette de 2014, sachant que le concept avait été schématisé en octobre 2013). Elle est partie pratiquement de zéro et mène à bien ce projet avec l’aide de partenaires prestigieux, dont le CEA-Liten qui lui a consacré une trentaine d’ingénieurs. Le projet Français apparaît plus global, car il y a eu de la recherche sur les panneaux solaires, l’éolien, les phénomènes vibratoires et sur l’aspect logiciel de la chaîne de traction. « C’est un projet très structuré », souligne en connaisseur Pascal Mauberger, Président de l’AFHYPAC. « La différence, c’est que nous utilisons des technologies déjà commercialisées, nuance Laure Lunven, en charge des relations presse pour l’odyssée 2017 de Race for Water. Nous ne sommes pas dans la démonstration technologique ». La fondation Helvète a choisi de travailler avec Swiss Hydrogen*, une société créée avec des anciens de chez Swatch qui avaient travaillé sur la pile à combustible. Cette PME située à Fribourg conçoit des électrolyseurs et des piles. Son dirigeant, Alexandre Closset, reconnaît qu’il avait déjà entendu parler d’Energy Observer quand il a été contacté par Race for Water. Au niveau de la technologie, Swiss Hydrogen a acheté deux électrolyseurs et un compresseur qui ont été adaptés au navire. La société a également géré l’intégration du stack des deux piles à combustible de 30kW, qui vient de chez Powercell (avec qui des travaux en commun ont été menés dans le cadre du projet Européen Auto-Stack Core), ainsi que celle de l’électronique de puissance. Elle a aussi adapté l’alimentation de la pile pour qu’elle soit branchée sur du courant continu, comme le pack de batteries 400 V. Ce n’est donc pas tout à fait du produit existant. La PME a essayé de nouer un partenariat avec le CEA, mais sans succès.

Médias et partenaires : avantage à Energy Observer
Le projet Français peut se prévaloir du soutien de certains médias, qui relaieront les documentaires produits par Jérôme Delafosse. Le navire a d’ailleurs fait l’objet d’un reportage au JT de 20 h de TF1 tout récemment, le 28 mars. En ce qui concerne les partenaires, en plus d’Accor Hôtels et de Thélem Assurances, Energy Observer doit dévoiler le 8 avril prochain le nom de grandes entreprises Françaises qui vont soutenir le projet. Précisons que l’AFHYPAC a prévu pour sa part d’appuyer clairement le projet Français. Malgré ce télescopage, qui va opposer au passage deux grands marins français (Victorien Erussard pour Energy Observer, Gérard d’Aboville pour Race for Water), le monde entier va pouvoir découvrir à travers ces deux projets qu’il est possible de naviguer en mode zéro émission avec de l’hydrogène et des énergies renouvelables. « Nous saluons avec enthousiasme le lancement prochain d’Energy Observer qui portera, nous l’espérons pour nous tous, le message d’une banalisation des nouvelles énergies propres, dit-on chez Race for Water. C’est une merveilleuse nouvelle qu’il y ait plusieurs projets similaires, cela démontre la réalité de la transition énergétique en marche. Il faut que tous les navires du monde fonctionnent sur le mix de solaire, hydrogène et kite au lieu de polluer les océans et les villes côtières ». Il est à noter enfin que les deux navires ont retenu l’attention du Suisse Bertrand Piccard, qui soutient les projets permettant de préserver l’environnement. Le pilote de Solar Impulse, qui était le rédacteur-en-chef de Ouest France Dimanche, hier, a tenu à mettre en avant Energy Observer parmi les projets novateurs.

*Précisons que Swiss Hydrogen rivalise dans un autre domaine avec… le français Symbio ! C’est d’ailleurs dans un Kangoo Z.E que la PME Suisse a présenté récemment à Fribourg un range extender utilisant une pile de 10 kW (Hy-Rex10, et dont la particularité est d’être intégrée au moteur électrique, afin de libérer de la place pour le volume de chargement et pouvoir doubler l’autonomie de cet utilitaire électrique dans une configuration familiale.

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à propos de l'auteur

Laurent Meillaud

Laurent Meillaud

Journaliste automobile depuis plus de 30 ans, suivant les évolutions technologiques, je m'intéresse aussi aux énergies alternatives, dont l'hydrogène que je suis depuis 20 ans. J'ai co-écrit un ouvrage à ce sujet en 2007 avec Pierre Beuzit, ancien patron de la R&D chez Renault. Je collabore également depuis 2016 à la newsletter de France Hydrogène.

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